Notre
besoin de toucher et de prendre dans ses bras s’inscrit au plus profond
de l’histoire de notre espèce. La preuve, nos proches cousins, les
primates anthropoïdes, pratiquent eux aussi ces échanges tactiles. Au
lieu de s’adonner aux câlins et massages, ils s’épouillent. Certes,
l’épouillage vise d’abord à débarrasser la fourrure des parasites, des
bouts de végétation ou peaux mortes qui s’y logent. Mais comment
expliquer que certaines espèces y passent plusieurs heures alors que
quelques minutes suffisent à obtenir une fourrure propre? Et pourquoi
les gros ne sont pas épouillés plus longtemps que les petits? Le Pr
Dunbar de l’Université d’Oxford s’est penché sur plusieurs études pour
répondre à ces questions1. Selon lui, l’intérêt de l’épouillage dans
les groupes de primates est avant tout social. Il vise à établir des
relations basées sur la confiance, des "amitiés" sincères. En un mot, "je ne t’épouille pas pour obtenir directement des bénéfices mais pour te témoigner mon soutien".
D’ailleurs, les femelles conservent les mêmes partenaires d’épouillage
tout au long de leur vie. Chez les grands singes, comme chez nous, un
câlin vaut mieux qu’un long discours pour témoigner son amitié!
Une sensation de bien-être.
Au commencement, il y a le toucher. Ce formidable moyen d’établir un
contact avec le monde extérieur et avec l’autre. Puis, il y a la
caresse et le câlin, qui s’accompagnent d’une douce sensation de
bien-être et de relaxation. D’où viennent ces sensations? En
particulier de la libération d’une hormone dans le sang: l’ocytocine.
L’ocytocine est avant tout associée à la maternité. Sans elle, pas
d’accouchement ni d’allaitement possible. Mais l’hormone s’immisce à
toutes les étapes de notre vie sociale. Dans nos relations amicales
comme dans nos relations amoureuses. Par exemple au cours d’un jeu,
recevoir intentionnellement une somme d’argent de la part d’un autre
joueur augmente le taux l’ocytocine, ce qui renforce la coopération et
la confiance2. Une autre étude a montré que chez certains rongeurs, une
élévation du taux de l’hormone les poussait à choisir un seul
partenaire et à se blottir contre lui3. Bien que polygames, ils
reproduisaient un comportement de couple sous l’effet de l’hormone.
L’ocytocine injecte donc une dose d’attachement dans nos câlins. S’il
fallait une dernière donnée pour se convaincre de ses bénéfices, la
psychologue Karen Grewen avance que les personnes heureuses en couple
ont un taux d’ocytocine dans le sang significativement plus élevé que
celles qui subissent leur union4.
Les vertus thérapeutiques de la tendresse.
Le câlin n’a pas que des effets sur nos comportements. Celui qui en
abuse serait même moins sujet aux gros rhumes et à l’hypertension. “Un câlin par jour pour passer l’hiver”,
c’est ce que prescrit en substance le psychologue américain Sheldon
Cohen, de l’Université de Carnegie-Mellon de Pittsburg (Pennsylvanie)5.
Avec son équipe, il a voulu déterminer si les câlins et le soutien de
l’entourage permettaient de mieux faire face aux virus de l’hiver.
Pendant deux semaines, il a contacté tous les soirs les 406
participants de l’étude pour recenser le nombre de câlins et de
conflits de la journée et recueillir leurs sentiments sur leur
situation sociale. Puis, le scientifique a isolé les volontaires, les a
sciemment exposés à un des virus du rhume et a observé l’évolution de
la maladie. Résultat: plus il était soumis aux conflits, plus le sujet
était vulnérable à l’infection. A contrario, un soutien et un nombre de
gestes tendres élevés réduisaient la gravité des symptômes! Et sur
l’organe des émotions par excellence, le coeur, quel effet a le "hug"?
Deux chercheuses en psychologie de l’Université de Caroline du Nord,
Karen Grewen and Karen Light, ont consacré plusieurs années d’étude à
ce sujet. Chez les couples, elles ont prouvé que l’étreinte et la
présence de l’autre réduisait de moitié l’augmentation des battements
du coeur dans une situation stressante6. Chez les femmes ménopausées,
les câlins réguliers augmentaient le taux d’ocytocine, tout en
abaissant la tension artérielle7.
Le câlin, ce besoin vital. Chaque
étreinte laisse en nous une émotion, un souvenir particulier. Un câlin
n’est jamais anodin, surtout dans les premières années de la vie. Le
psychiatre et psychanalyse John Bowlby l’a expliqué mieux que
quiconque. On lui doit la théorie de l’attachement, une référence pour
comprendre la psychologie de l’enfant. Le Dr Bowlby a une trentaine
d’années pendant la seconde guerre mondiale. A cette période en Europe,
les orphelins se multiplient chaque jour. Un des collègues de Bowlby,
le Dr Spitz, observe que les nourrissons séparés de leur mère et qui ne
reçoivent pas d’affection d’une tierce personne sont atteints de
troubles graves. Au début, le bébé abandonné hurle et se débat pour
manifester son besoin d’attention. Sans réponse de son entourage, il
devient progressivement indifférent aux sollicitations. Puis, il arrête
de s’alimenter, ne dort plus et régresse sur le plan moteur et
psychique. Enfin, il atteint un état grave de dénutrition qui peut
conduire à la mort8. En parallèle des constatations cliniques de Spitz,
une série d’expériences va fortement influencer Bowlby. Leur objectif?
Observer l’impact de la relation mère-petit et des contacts sociaux sur
le développement de singes... en les privant dès leur naissance de tout
contact. Au bout de quelques mois d’isolation, les jeunes singes
étaient réintroduits dans le groupe. Loin de se mêler à ses congénères,
l’animal restait prostré dans un coin de la cage en se balançant
d’avant en arrière (un comportement que peuvent avoir les enfants
autistes). Il ne montrait pas plus d’intérêt pour le jeu ou les
rapports sexuels9. John Bowlby en est désormais persuadé: "l’attachement est un besoin humain inné". La psychologue Violaine Pillet explique10: "l’enfant
humain vient au monde avec une prédisposition à participer aux
interactions sociales. Le bébé a besoin d’un lien d’attachement précoce
et continu car il naît immature et dépendant, et la recherche de
proximité maternelle est un besoin primaire. L’amour ne renforce pas la
dépendance, il donne de l’assurance pour une ouverture au monde
extérieur." Pour Bowlby, l’attachement entre la mère et l’enfant
se construit au travers de différentes interactions comme la tétée, le
regard, le sourire… ou encore l’étreinte11.
Le câlin, essentiel pour tous.
C’est parce qu’il est essentiel à notre équilibre que le câlin fait
autant parler de lui. On lui dédie même une journée internationale
depuis les années 1970, le 21 janvier. La psychologue américaine
Virginia Satir affirme que "nous avons
besoin de quatre câlins par jour pour survivre. Nous en avons besoin de
huit pour fonctionner. Et de douze pour croître."12 Que faire
quand les gestes tendres viennent à manquer et que la peau “crie
famine”? Adopter un animal de compagnie pourrait être une solution. La
présence d’un chat ou d’un chien à ses côtés apporterait du réconfort
et permettrait de réduire le stress et l’anxiété. D’ailleurs,
l’attachement et l’affection que nous portons à nos compagnons à 4
pattes peuvent être aussi importants que ceux que nous connaissons
entres humains13. Mais il n’est pas nécessaire d’être propriétaire d’un
animal pour en tirer des bénéfices. Une étude a montré que la visite
régulière d’animaux en centre de soin améliorait les conditions de vie
des pensionnaires. Chez ces personnes âgées plus isolées, être en
contact avec un chien ou d’un chat boostait l’estime de soi, la joie de
vivre, les interactions avec les autres, tout en réduisant la
dépression14. Pour ne plus passer à côté de ces instants rares, la
psychologue Céline Rivière conseille: "ne
cherchez pas l'amour pour avoir des câlins, inversez les choses:
laissez-vous aller à faire des câlins et à vous faire câliner pour
faire tomber les barrières que la peur a érigées." Et vous, à quand remonte votre dernier câlin ?
Sources
1. R.I.M. Dunbar "Review : The social role of touch in humans and
primates: Behavioural function and neurobiological mechanisms"
Neuroscience and Biobehavioral Reviews 34 (2010) 260–268
2. Zak, P.J., Kurzban, R., Matzner, W.T., 2004. The neurobiology of trust. Ann. NY Acad. Sci. 1032, 224–227.
3. Carter, C.S., DeVries, A.C., Getz, L.L., 1995. Physiological
substrates of mammalian monogamy: the prairie vole model. Neurosci.
Biobehav. 16, 131–144.
4. Elias M. Hugs can do a heart good. USA Today. March 8, 2004:7D.
5. Cohen S et al "Does hugging provide stress-buffering social support?
A study of susceptibility to upper respiratory infection and
illness.Psychol Sci. 2015 Feb;26(2):135-47. doi:
10.1177/0956797614559284. Epub 2014 Dec 19.
6. Grewen KM, Anderson BJ, Girdler SS, Light KC. Warm partner contact
is related to lower cardiovascular reactivity. Behavioral Med. In press.
7. Light KC1, Grewen KM, Amico JA."More frequent partner hugs and
higher oxytocin levels are linked to lower blood pressure and heart
rate in premenopausal women.Biol Psychol. 2005 Apr;69(1):5-21. Epub
2004 Dec 29.
8. "La dépression et les carences affectives chez le nourrisson"
Rédaction : M Maury - Relecture : JP Visier - Relecture 2008 : JP
Raynaud (notes de cours, pdf)
9. Le cerveau à tous les niveaux "Capsule histoire : L’isolation et ses
effets dévastateurs sur le comportement social." accessible sur le site
http://lecerveau.mcgill.ca/ [consulté le 03/02/2016]
10. Pillet Violaine, « La théorie de l'attachement : pour le meilleur
et pour le pire. », Dialogue 1/2007 (n° 175), p. 7-14. URL :
www.cairn.info/revue-dialogue-2007-1-page-7.htm. DOI :
10.3917/dia.175.0007.
11. Notes de cours “Psychologie du développement, orientation
psychanalytique, le concept d’attachement, la théorie de Bowlby”
accessible sur http://www.la-psychologie.com [consulté le 03/02/2016]
12. Marlène Duretz "Pourquoi il ne faut pas oublier les câlins" M le
magazine du Monde, publié le 20/01/2016 sur http://www.lemonde.fr
13. Barker, S.B (1993). Pet owners no longer grieve alone. American Counsellor, 2, 26-31.
14. Francis, G., Turner, J.T., Johnson, S.B. (1985). Domestic animal
visitation as therapy with adult home residents. International Journal
of Nursing Studies, 22, 201-206.